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Le Voyage de Serraf
27 janvier 2005

14ème lettre

Mercredi 2 Juin

Ma nuit ne s'est pas trop mal déroulée. A mon réveil le ciel est encore clairsemé de nuages mais la journée s'annonce bien moins humide que les précédentes. Une colonie de fourmis a escaladé ma tente et envahi mon sac et je dois secouer mes affaires pendant un certain temps pour les déloger.  Les abords de la cascade me semblent adéquats pour faire du feu : aucune végétation à proximité immédiate, quelques branches sèches jonchant les cailloux et de l'eau en quantités suffisante pour prévenir tout risque de propagation du feu. Je dispose donc quelques pierres en cercle au bord du torrent, place une vieille planche au centre  et agence quelques brindilles en fagot au dessus d'une de mes pastilles d'alcool solide que j'enflamme au briquet. Le bois n'est pas aussi sec que prévu mais petit à petit le feu grandit et un parterre de braises se forme. Je pose alors ma gamelle d'aluminium remplie au deux tiers d'eau et la couvre pour accélérer l'ébullition. Je surveille la cuisson de mes deux paquets de riz tout en appréciant le paysage. Les bruits du Tanaro et de la cascade voisine couvrent presque entièrement celui de la circulation automobile. Le ciel est encore bien nuageux mais le soleil perce de temps à autres, diminuant lentement le taux d'humidité ambiante.

Je prends finalement mon repas assaisonné de sel vers midi. Mon matériel est presque sec à présent et c'est une fois rassasié que je refais mon sac. Je me remet en marche après avoir précautionneusement éteint le feu,  battant la bitume jusqu'au village d'Orméa. La ville me parait bien trop calme. J'apprends que le deux Juin est un jour férié en Italie, ce qui justifie probablement ce manque d'activité. Je ne m'attarde juste le temps de me réapprovisionner en eau puis je poursuis ma route. Je franchis les hammeaux de Nasago, Isola Perosa et Trappa en guettant la présence d'une cabine téléphonique sans en trouver et arrive de proche en proche dans le village de Garessio.

Un panneau fixé sur la façade d'un bar m'indique qu'il y a ici un téléphone et je parviens à joindre la France en échange d'un euro soixante. Ma grand-mère me donne de nouvelles instructions pour appeler depuis une cabine que j'expérimente aussitôt depuis une installation voisine. Enfin, ça fonctionne ! Je transmet donc de mes nouvelles puis entreprends de visiter un peu la ville en recherchant par la même occasion des indications sur l'itinéraire le plus adapté.

Je rencontre un monsieur avec qui je parviens à communiquer sommairement. Il m'indique une petite route donc mentionnée sur ma carte qui conduirait, selon lui, directement à Vetria. Afin de ne pas m'induire en erreur il demande confirmation à un de ses amis pharmacien puis il m'accompagne sur quelques centaines de mètres pour me montrer ladite route. Il me quitte alors après m'avoir laisser quelques indications verbales que j'essaie de suivre. Je m'engage alors sur un petit chemin longeant quelques propriétés et s'enfonçant ensuite dans une zone boisée bordant quelques vergers.

Je ne marche pas longtemps avant de tomber face à un chien qui m'aboie après, contrarié certainement qu'un intrus traverse son jardin. Heureusement son jeune maître est là pour le calmer et il m'invite à approcher. Je tente de communiquer en anglais sans grand succès. Le père du jeune homme arrive alors à la rescousse et me répond dans un français impeccable. Il m'explique qu'il a vécu dix ans en France à la construction du complexe pétrochimique de Fos-Sur-Mer, voilà une trentaine d'années. Il m'invite à boire un jus de fruit et se met à étudier ma carte pour me faire profiter de sa connaissance de la région. Il me suggère de suivre la route nationale afin d'obtenir un itinéraire plus direct mais la perspective d'arpenter une fois de plus un axe de grande circulation ne m'enthousiasme guerre.

Après les avoir remercié de l'accueil et des verres de jus de fruit et d'eau qu'ils m'ont offert, je finis par me remettre en route. Je rebrousse chemin jusqu'à la petite route et indiquée par le pharmacien, prenant à droite après avoir passé une petite chapelle, comme il me l'avait dit. La route recommence à monter en une succession de virages. Je dépasse un haras et m'élève peu à peu au dessus de Garessio. Les montagnes en face de moi son ceinturées d'épais nuages gris mais pour l'instant, heureusement, l'endroit où je me trouve est encore ensoleillé. Je monte pendant un bon moment, dépassant quelques fermes sans m'attarder et dressant le camp qu'à l'avènement de la nuit tombée sur un terrain herbeux, légèrement pentu, situé un peu au dessus de la route.

Jeudi 3 Juin

Un violent orage a éclaté durant la nuit, changeant l'obscurité en un déchaînement d'éclairs et de coups de tonnerre assourdissants. L'intempérie ne fut pas très longue mais elle suffit à faire naître une insomnie qui ne me quitta pratiquement pas jusqu'à l'aube. De plus, quelques sangliers s'empressant de retourner la terre ramollie par la pluie vinrent rôder près de ma tente, rendant mon sommeil encore plus difficile.

Ce matin le ciel est assez nuageux et la température assez fraîche. Je me couvre d'avantage et plie ma tente sans prendre le temps de la faire sécher avant de me remettre en marche. J'arrive assez rapidement en haut de la côte et amorce ma redescente vers Vétria. La route, assez bien entretenue, serpente au milieux des arbres scintillants d'humidité et longeant un petit cour d'eau.

Lorsque j'arrive en vue du village, alors que la descente s'est changée en route plane, un violent orage éclate sur les montagnes à ma gauche. Pendant quelques instant il demeure à distant puis, les coups de tonnerre se faisant plus proches, j'ai juste le temps de m'équiper contre la pluie avant que ne déferlent sur les prés et les quelques maisons du village qui m'entoure des trombes de pluie mêlée de grêle. Les environs n'offrent guerre d'abris convenables et, plutôt que de m'efforcer vainement à en trouver un, je préfère poursuivre ma progression.

En moins d'une demi heure le soleil refait son apparition et fond rapidement les billes de glace éparpillées sur l'asphalte. En poursuivant ma marche vers le lac d'Osiglia je dépasse les hameaux de Maritani et de Caragnetta  pour ensuite franchir la rivière Bormida et d'entamer l'ascension  vers Riofreddo.

La route goudronnée monte pendant un bon moment puis devient de moins en moins entretenue. Le revêtement vieillissant est de plue en plus recouvert de terre jusqu'à ne plus être visible. Sans réellement localiser l'endroit où elle débute j'évolue sur une piste forestière de terre ocre sur laquelle de longues traces trahissent l'existence proche d'une exploitation de bois. Le bourdonnement régulier d'un moteur deux temps se fait peu à peu entendre et j'arrive à proximité du chantier. Une vaste zone encombrée de souches et de branchages est sillonnée de quelques larges passages empruntés conduisant à l'orée d'une forêt située plus haut. Je ne croise toutefois personne et continue d'avancer sur le chemin principal jusqu'à ce qu'il recommence à descendre. La descente, comme la montée, se déroule en de larges virages en épingle au bord desquels ont été bâties quelques villas.

Au bout d'un moment le bitume refait son apparition avant que j'arrive à Osiglia. Deux anciens tentent d'engager la discussion avec moi mais une fois encore les échanges sont grandement limités par mon incompréhension de la langue. Je comprends toutefois que le lac n'est qu'à une paire de kilomètres et après quelques instants d'hésitations quant à l'itinéraire à suivre, j'arrive en vue de l'étendue d'eau. Je passe quelques petits quartiers paisibles et longe le lac sur la route empruntée par de nombreux camions. Le niveau de l'eau semble être monté ces derniers temps et les arbres les plus proches de la rive se sont retrouvés noyés sous quelques dizaines de centimètres. Une grande passerelle métallique que des ouvriers sont en train de repeindre sert de repère à de nombreux pêcheurs dont les lignes parallèles oscillent au gré de la légère brise.

Je m'assieds un instant sur une petite place ombragée et caillouteuse où  quelques voitures sont garées de façon plus ou moins désordonnée. Des cyclistes s'arrêtent à mon niveau et nous discutons un peu, parlant de mon voyage et des quelques plantes comestibles des environs puis je me remets en marche lorsqu'ils me quittent. La route passe alors en dessous du barrage qui a formé ce lac artificiel et descend assez franchement jusqu'au lit de la rivière. Je franchis la localité de Ronchi sans m'y arrêter et me réapprovisionne en eau à une fontaine située un peu plus loin. Je gagne ensuite une route nationale au bord de laquelle sont clairsemés quelques vieux bâtiments plus ou moins décrépits rattachés sans doutes à la commune voisine d'Aquafredda.  Je cherche pendant un instant la route de Biestro mentionnée sur ma carte mais dont la présence sur le terrain n'est pas flagrante. Une dame finit par me renseigner aimablement sur l'itinéraire à suivre. Il s'agit d'une petite route commençant juste après  un pont franchissant le cours d'eau et montant nettement sur quelques kilomètres. La luminosité commence à décroître et je scrute les abords de la route pour trouver un endroit où dresser le camp. Je dépasse une exploitation forestière et quelques propriétés avant de continuer mon ascension sur une piste de terre.

Un chemin agricole sur la droite offrant une aire globalement plane sous des châtaigniers me semble adéquat pour de passer la nuit. J'y monte ma tente et compte profiter des derniers moments de clarté pour entamer ma cinquième lettre, mais les moustiques ont tôt fait de me contraindre à m'abriter et à remettre cette tâche  plus tard.

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