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Le Voyage de Serraf
31 octobre 2004

12ème lettre

Samedi 29 Mai

La nuit s'est bien passée malgré l'humidité ambiante. Je déjeune en finissant mon morceau de saucisson puis plie mes affaires et me remet en marche sur la petite route sinueuse. Je monte sur le flanc d'une petite montagne où sont éparpillées quelques maisons, gâchant un peu le calme que j'aime trouver en pleine nature. Je franchis un hameau à travers lequel la route se fait nettement plus abrupte. De petits monuments disposés ça et là de part et d'autre de la voie racontent en italien des passages de la bible, illustrés parfois de peintures assez mal conservées. Je poursuis ma progression sans vraiment m'attarder et atteints finalement le sommet de cette côte. Je m'arrête quelques instants pour apprécier la vue.

Le relief est à la fois doux et très prononcé. Quelques villages juchés sur des collines aiguës ou encaissés au fond des vallons se dominent les uns les autres. Les clochers des églises aux formes redondantes mais toujours légèrement différentes selon les paroisses semblent se répondre en émettant d'agréables mélodies au carillon rappelant un peu Brahms. Je distingue sur ma droite une chapelle bâtie sur un python rocheux et, un peu plus loin, un village perché sur une colline vers lequel je décide de me diriger.

La route descend un peu puis remonte en contournant l'édifice religieux. Je croise quelques promeneurs et arrive au village de Périnaldo. Le bourg est assez joli, parcouru de ruelles abruptes et d'escaliers aux marches larges que je gravis tranquillement à la recherche d'une cabine téléphonique et d'un commerce où je compte acheter des spécialités locales. Je trouve sans difficultés une petite épicerie située dans un petit recoin mal éclairé, en face d'une fontaine. Un duo de vieux messieurs discutant non loin m'affirme que l'eau qui coule ici est tout à fait potable et j'en fais quelques provisions. J'entre ensuite dans la boutique et me laisse conseiller par les commerçants.

Je repars avec un pot de pâté d'olive et deux petits fromages semblables à de la «vache qui rit». Je me dirige ensuite vers le parvis de l'église où j'espère trouver un téléphone mais mes recherches sont vaines. Un autre couple de retraités assis sur le seuil d'une petite maison m'indique que le seul téléphone disponible pour les touristes se trouve dans le bar, en bas du village. Je les remercie et m'assied sur les larges marches entourant l'édifice religieux et prends mon repas. Je déguste le pâté d'olive et m'étonne en constatant que cette pâte a une consistance très proche de celle de la rillette, bien qu'il n'y ai aucune viande dans les ingrédients. Ce met serait, je pense, fort appréciable tartiné sur des toasts et servis à l'apéritif.

Une fois rassasié je redescend les ruelles en direction du bar que l'on m'a indiqué. Les promeneurs que j'ai croisé un peu plus tôt sont attablés sur la petite terrasse de l'établissement et prenne un copieux repas. Je me dirige jusqu'au comptoir et parviens sans trop de mal à demander le téléphone qui se trouve dans les toilettes, accrochée au mur. J'essaie à plusieurs reprises d'utiliser ma carte téléphonique prépayée mais je tombe systématiquement sur ce qui semble être un message d'erreur en italien. Sans doutes ma carte n'est-elle pas compatible avec ce type d'appareils. Je remet donc à plus tard mon coup de fil et quitte l'établissement après un bref remerciement.

J'emprunte alors un chemin qui me mène dans des vergers en terrasse surplombant la route. Je consulte un instant ma carte et décide de me rendre à Apricale, le village que je voyais tout à l'heure au fond de la vallée.

Je retourne vers la chapelle pour prendre à droite à une intersection et descendre vers le bourg. La voie descend peu à peu vers le vallon en serpentant le long des versant de la montagne. La circulation y est presque inexistante et ma progression est plutôt agréable. Je franchis le petit cours d'eau coulant dans la vallée et recherche un passage sur la droite que ma carte mentionne comme un chemin carrossable. Il semblerait, selon mon document, que ce passage serait un raccourci vers le village de Baiardo, mais je peine à localiser le chemin sur place. Je trouve cependant une voie terreuse, bétonnée sur les quelques mètres précédent la route principale. Je m'y engage et entame une ascension par paliers. Les bords du chemin sont envahis de colonies de valérianes, une plante aux fleurs roses à la saveur agréable, légèrement piquante. Je dépasse quelques fermes et vergers et constate que le passage se rétrécit de plus en plus et s'éloigne lentement de la direction que je souhaite suivre. Je décide de m'arrêter un moment au bord de l'eau pour faire le point et me reposer. Je remplis au passage mes réserves d'eau et étudie pendant quelques temps la flore des environs.

Je me résous finalement à rebrousser chemin jusqu'à la route principale et continuer vers Apricale, cueillant encore au passage quelques valérianes.

Il est 17h00 lorsque j'arrive en bordure du village. Le carillon de l'église se remet à jouer son agréable mélodie complétée par celle des églises des autres villages voisins. Je poursuis toutefois mon chemin sans entrer dans le village, remontant vers Baiardo en arpentant les méandres de l'asphalte. La montée, longue et abrupte m'oblique à observer de fréquentes haltes pour reprendre mon souffle. Les plantations d'oliviers succèdent à de grandes serres noires que la route contourne en de longs zigzags. La circulation est toujours assez réduite, seuls quelques tracteurs et de petits véhicules à trois roues fonctionnant avec des moteurs à deux temps me croisent ou me dépassent. Peu à peu le soleil descend et la lumière devient plus oranger. Je commence à rechercher un endroit où passer la nuit mais les environs n'y sont pas très propices.

Je parviens néanmoins à repérer un chemin caillouteux sur la droite et m'y engage aussitôt, conscient que je n'aurais pas de meilleures opportunités avant la nuit. J'avance donc sur quelques centaines de mètres en direction d'une ruine surplombant le chemin. Le sol est assez rocailleux mais je parviens à planter ma tente entre des buissons d'aubépine. Quelques véhicules empruntent la voie pour se rendre dans une ferme située en contrebas et ne sachant pas si mon campement serait toléré, je préfère rester furtif jusqu'au lendemain matin.

Dimanche 30 Mai

La nuit s'est bien passée. Je refais mon sac et retourne sur la route pour poursuivre mon ascension vers Baiardo. Quelques ruines de fermes et de chapelles peuplent les versant dominés par la route. La forme assez particulière des clochers de ces vieilles bâtisses capte un instant mon attention et j'essaie d'en identifier le style architectural malgré mes connaissances très limitées dans ce domaine. Je continue d'avancer  sur cette côte toujours assez abrupte, croisant de nombreux cyclistes qui m'encouragent ou me saluent difficilement d'un geste de la main tout en luttant contre la montée. Je parviens enfin au village après de nombreux virages en épingle. Les coureurs du dimanche qui m'ont dépassé un peu plus tôt se sont rassemblés et m'ovationnent à mon arrivée au sommet. Certains tentent d'engager la conversation mais, bien que je parvienne à saisir quelques phrases, je ne dispose pas d'un vocabulaire et d'une maîtrise suffisante de la langue pour entretenir un véritable dialogue. Je salue néanmoins mes interlocuteurs et pénètre dans le centre de la paisible bourgade.

La rue principale a été convertie en place du marché où de petits étals se juxtaposent les uns aux autres. Les gens attroupés en petits groupes discutent gaiement en s'écartant sans se presser lors des rares passages des véhicules. Je repère une cabine téléphonique où je tente de joindre la France mais impossible d'établir la communication avec ma carte Kertel malgré mes tentatives répétées. Je décide de remettre à plus tard cet appel et me rends alors dans une petite épicerie. J'y achète quelques beignets semblables à ceux que l'on peut trouver sur nos plages, un morceau de fromage comparable à la tomme de Savoie ainsi qu'une sorte de carré de pain sec et fade vendu en tant que spécialité locale. La commerçante ne disposant plus de pain, je me rends dans une autre boutique pour compléter mes achats. Je retourne ensuite près de la cabine et m'assied sur un banc pour prendre mon repas.

Une fois rassasié, je réitère sans plus de succès de joindre la France, essayant d'abords depuis la cabine puis depuis un téléphone mis à la disposition des clients dans un bar. Je mobilise d'ailleurs tous les gens présents dans l'établissement afin de comprendre le message d'erreur, mais toujours pas de communication établie après près d'un quart d'heure. Je finis donc par renoncer et décide d'attendre demain pour obtenir quelques précisions auprès d'un bureau de poste, en espérant que des produits comparables à cette carte soient vendus en Italie.

Je me remet alors en marche, remplissant en passant mon réservoir d'eau à une fontaine à la sortie du village avant de recommencer à arpenter l'asphalte. Les sentiers pédestres sont hélas rarissimes mais heureusement la circulation automobile n'est pas très dense et ma progression est plutôt agréable.  Le soleil est chaud et mon épaule droite, rougie par une brûlure légère commence à me cuire. Peu à peu la route s'enfonce dans l'ombre rafraîchissante de la forêt et la douleur de on coup de soleil est rapidement calmée. Quelques cadavres écrasés de vipères de bonne taille et de scorpions noirs m'incitent à faire preuve de vigilance lorsque je m'assiérais dans l'herbe. 

J'atteins le col de « passo Ghimbegna » et amorce une redescente légère jusqu'à une intersection où une pancarte provisoire semble mentionner le déroulement en cours d'une sorte de rallye automobile amateur. Quelques personnes stationnées sur une aire de pique-nique et semble attendre la fin de la manifestation. Je les rejoins pour obtenir quelques informations complémentaires, mon déchiffrement du panneau n'étant pas vraiment limpide. J'engage alors la conversation avec un monsieur assis sur sa vespa. Celui-ci me confirme ce que j'avais compris et notre discussion se prolonge. Il m'apprend qu'il est américain, originaire de Seattle,  récemment installé dans le village voisin de Ceriana. Des bolides se succèdent toutes les cinq minutes environ, mais je n'y accorde que très peu d'attention, préférant de loin continuer de parler avec le monsieur à la vespa. Nous évoquons l'Italie, la France et mon voyage jusqu'à ce que les occupants de la voiture garée près de nous, vraisemblablement des organisateurs du rallye, décrochent le panneau fixé à l'arbre et quittent les lieux. J'attends encre quelques minutes pour être sur qu'aucun bolide retardataire ne surgisse puis je me remet en marche après avoir salué le monsieur de Ceriana.

La route descend  vers Vignai en passant de nombreux ruisseaux provenant de la montagne. Beaucoup de ces cours d'eaux ont été aiguillés par des canaux bâtis en pierre, parfois même ces constructions ressemblent à des édifices religieux entourés de zones arborées ceinturées de grilles les rendant inaccessibles aux passants. De proche en proche j'arrive au hameau de Vignai où trois personnes âgées assises sur des chaises pliantes au bord de la route me regardent passer.  Il me saluent en souriant et me font comprendre que le prochain village où je pourrais trouver un bureau de poste est Badalucco, situé à onze kilomètres d'ici.

Je ne m'attarde pas trop et continue ma progression, dépassant une chapelle à l'architecture comparable à la ruine de ce matin ainsi que des lieux-dits constitués des quelques fermes plus ou moins rénovées. Le soleil ne va pas tarder à se coucher et j'observe les environs tout en marchant afin de repérer un endroit où planter ma tente. Je contourne Ciabaudo et quelques habitations construites le long de la route pour enfin repérer une petite plantation d'oliviers sur ma gauche. Je grimpe donc sur ces terrasses étroites et observe un peu l'endroit. Les murets en pierre sèche qui maintiennent la terre sont partiellement éboulés et leur entretien semble laisser à désirer. Le sol porte encore les marques d'un écobuage récent mais c'est sans trop de mal que je parviens à dresser le camp.

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